Portrait : Charlotte Perriand, designer visionnaire, architecte engagée et bien plus encore
Espérer dresser le portrait de Charlotte Perriand en un seul article serait utopiste. Rien que définir en un mot ou deux mots cette artiste n’est pas chose aisée. Elle le disait elle-même : « Je ne suis pas architecte, surtout pas designeuse, je suis une inventeuse. Pour tout vous dire, j’ai du mal à me définir« . Avant d’ajouter : « Si on me demande qui je suis, je ne sais pas répondre. Une femme de l’art peut-être (…) je ne suis pas architecte mais j’aime l’architecture et je l’ai apprise. Designer non, car je pars toujours d’un milieu, je ne crée pas un objet pour un objet : je ne le crée que si j’en ai le besoin.« .
Elle se résumait finalement par un terme : « marginale« .
Le Bar sous le toit, première étape de la carrière de Charlotte Perriand
Charlotte Perriand naît à Paris en 1903, d’une mère couturière dans la haute couture et d’un père tailleur. Si elle vit ses trois premières années chez son grand-oncle en Bourgogne, elle passe le plus clair de son enfance dans la capitale.
C’est là qu’elle étudiera, à l’école de l’Union Centrale des Arts Décoratifs. Elève un peu dissipée au début, elle se ressaisit finalement, notamment sous la pression de sa mère pour qui il était hors de question de ne pas faire d’études et avoir une carrière, même en étant une femme – on est alors dans les années 20, où ceci est rare…
Charlotte Perriand se fait repérer à 24 ans avec son Bar sous le toit, créé pour son propre appartement-atelier. Dedans, elle remplace la cuisine par ce bar pour que celle (là encore, nous sommes dans les années 20…) qui fait à manger ne soit pas coupée des conversations et puisse recevoir tout en s’amusant. C’est révolutionnaire, et cela marquera les premiers jalons des cuisines ouvertes.
Une collaboration avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret en demi-teinte
La créatrice vit un peu mal cette soudaine notoriété. Elle en profite cependant pour entamer une collaboration avec deux figures du milieu qui l’ont alors repérée : Le Corbusier et Pierre Jeanneret. Ils oeuvrent dans un couvent, avec nombre d’autres artistes.
De cette phase, naissent des pièces incontournables comme le tabouret pivotant LC8 ou le la chaise LC7 en cuir et acier chromé.
Plus tard, la chaise longue LC4 ou le fauteuil grand confort. On attribue souvent ce dernier à « Corbu », et ce n’est pas un hasard : l’architecte insiste pour mettre leurs trois noms sur les créations de Charlotte Perriand, qui plus est dans l’ordre alphabétique. Le sien apparaît ainsi en premier.
Le Corbusier n’est pas tendre avec Charlotte Perriand. Il s’emporte souvent contre elle, minimise à plusieurs reprises sa contribution alors même qu’elle a le titre de responsable du mobilier et de l’équipement, et n’hésite pas à lui déblatérer quelques réflexions sexistes de temps à autre.
L’artiste s’acharne malgré tout, jusqu’au jour où elle coupe les ponts. Leur collaboration durera dix années.
Designer l’utile, jusque dans les stations de ski
Les objets désignés par Charlotte Perriand sont avant tout des objets utiles, conçus pour être utilisés. « Sont utiles et belles les formes qui révèlent l’accord entre les exigences de la matière et les aspirations de l’esprit », dira-t-elle ainsi.
Sur ses dessins, elle ajoute des yeux et des personnages à taille réelle, pour mieux imaginer la façon dont ils pourront s’approprier son mobilier.
Elle est aussi très inspirée par l’esthétique minimaliste du Japon, où elle passera un moment de sa vie, et par l’esthétique brute des habitations de montagne. Car Charlotte Perriand est une alpiniste chevronnée. Passionnée de sommets, elle vit des mois durant en haute montagne, dans des refuges où elle photographie un à un les tabourets et tables en bois épais. Elle va aussi plancher sur la construction et l’aménagement de plusieurs stations de ski, comme Méribel ou Les Arcs. Fait amusant : durant cette période, elle invente ni plus ni moins que le concept de double-vitrage.
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Une carrière marquée par ses engagements politiques
La carrière de Charlotte Perriand qui sera heureusement aussi ponctuée de collaborations plus bienveillantes que celles avec Le Corbusier, par exemple avec Jean Prouvé, est aussi marquée par ses engagements politiques.
Elle ne cache ni son féminisme, ni ses idées de gauche. Hors de question par exemple de ne créer que pour les riches.
Dès ses débuts, Charlotte Perriand s’intéresse aux petits espaces et aux façons de lutter contre la gentrification en ville. Elle s’illustre dans l’architecture de survie en dessinant des lieux pour des personnes sans-abris et des réfugiés.
Elle s’attache à comprendre leurs besoins plus qu’à tout le reste. Lorsque ceux qui n’ont pas de domicile fixe lui confient que leur bien le plus précieux est leur sac d’affaires, elle ajoute sur leurs lits une poche pour l’y ranger.
Charlotte Perriand décède en 1999, laissant derrière elle sa fille, Pernette Perriand. Il y aurait encore beaucoup, beaucoup à dire sur la vie et la carrière de cette femme, d’une incommensurable richesse. Mais promis, on vous prépare d’autres articles à ce sujet.