Les villes sont un enfer en période de canicule, et ça ne va pas en s’arrangeant
Cela ne vous aura pas échappé ces derniers jours : dehors, il fait chaud. Dedans aussi. Surtout si comme moi, vous habitez dans un appartement en ville – et qu’il se situe au dernier étage d’un vieil immeuble peu isolé, et que vous n’avez pas l’envie ou les moyens de le climatiser. Si le soleil qui tape sur les fenêtres est un vrai bonheur en hiver, en été, il génère des températures parfois à la limite du soutenable. Mauvaise nouvelle : la situation devrait s’empirer durant les prochaines années. Du moins, si on ne change pas tout de suite la façon dont on conçoit les espaces urbains. Car non, ville et canicule ne font pas bon ménage.
Ville et canicule : pourquoi il fait plus chaud qu’à la campagne ?
Par rapport à la campagne, les températures en ville – celles de l’air ou du sol – sont généralement plus élevées.
Ce phénomène porte un nom : « l’îlot de chaleur urbain« . Il a été découvert et nommé au XIXè siècle par un pharmacien du nom de Luke Howard, qui s’étonnait de constater qu’à Londres, les températures étaient en moyenne supérieures de 0,19°C le jour et 3,7°C la nuit par rapport à la campagne avoisinante.
Ces « bulles » ou dômes de chaleur découlent de deux facteurs principaux.
D’abord, l’activité humaine et sa densité. En ville, on trouve davantage de sources de chaleur indirectes : chaudières, réseaux de chaleur mal isolés, climatisations, éclairage public, moteurs des avions, ordinateurs, usines, moteurs de voitures… sont autant de sources différentes.
Les matériaux utilisés jouent également sur le lien entre ville et canicule. Les surfaces sombres, comme le goudron ou les bâtiments vitrés, agissent comme une multitude de petites serres, en absorbant des rayons du soleil. Elles retiennent longtemps cette chaleur, alors que le mercure baisse à peine en ville la nuit durant les épisodes caniculaires.
Les îlots de chaleur urbains ont des conséquences graves sur la santé humaine. Rien qu’en 2003, 70 000 personnes sont mortes en Europe à cause de la canicule. Le niveau de surmortalité était alors de 141% à Paris, contre 40% en zone rurale ou en petite agglomération.
Plus récemment, en mai 2022, l’Inde et le Pakistan ont connu une vague de chaleur sans précédent avec des pics à 50°C, causant des dizaines de morts et privant d’eau et d’électricité plusieurs millions d’habitants. Elles poussent également les villes à se climatiser à outrance, ce qui à terme, aura un impact négatif sur le changement climatique.
Les vagues de chaleur en ville, conséquence du réchauffement climatique ?
Le lien entre vagues de chaleur et changement climatique, justement, a longtemps divisé la communauté scientifique. « Pendant de longues années, je répondais qu’il ne fallait pas faire le lien entre un événement extrême ponctuel et le réchauffement climatique« , admettait ainsi Robert Vautard, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace des sciences du climat (IPSL) au journal Les Echos.
Mais des études ont depuis montré qu’il était bien réel. Prenons l’exemple de l’Inde. Cet épisode d’intense canicule aurait eu 30 fois moins de probabilité d’exister sans changement climatique.
Ce type d’événements risque de se produire une fois tous les 100 ans (contre une fois tous les 3 000 ans auparavant)
Ce type d’événements risque à présent de se produire une fois tous les 100 ans (contre une fois tous les 3 000 ans auparavant), dans un monde où la température a augmenté de 1,2°C en moyenne depuis les niveaux pré-industriels, résumaient les scientifiques du World Weather Attribution, auteurs de l’étude. Si le réchauffement climatique atteignait les +2°C, on verrait ce phénomène… une fois tous les cinq ans.
En France, il y avait 1,7 jour de vague de chaleur par an avant 1989. Durant la dernière décennie, ce chiffre était passé à 9,4.
Le changement climatique entraîne donc des vagues plus précoces, plus intenses, et plus fréquentes, dont les habitants des villes seront les premiers à en subir les conséquences, surtout lorsqu’ils vivent dans des pays pauvres, où « l’adaptation est la seule solution« .
Renaturer la ville pour lutter contre la chaleur en canicule
Pour y remédier, c’est tout l’espace urbain qu’il faudrait repenser. En y ajoutant un peu (beaucoup) de verdure par exemple, et en limitant la bétonisation. Les arbres créent naturellement des zones d’ombre, empêchant les rayons infrarouges d’atteindre le béton. Leur couleur attire moins la chaleur que celle de l’asphalte, et ils ont enfin la faculté d’absorber l’humidité du sol pour l’évacuer par évaporation.
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Tangui Le Dantec, architecte et conseiller pour France Nature Environnement, a calculé en juin 2022 les températures de la place de la République, à Paris. Celles-ci grimpaient à 59,8°C au niveau du sol en plein soleil… contre 24,8°C quelques mètres plus loin, sous les arbres.
En juin, la première ministre Elisabeth Borne a annoncé la création d’un fond de 500 millions d’euros pour la renaturation des villes. Le projet pourrait se résumer à « moins de goudron et plus d’arbres« , avec des objectifs comme la désimperméabilisation des sols, en recouvrant le bitume et béton de matières naturelles.
Un toit noir pourrait atteindre 89°C en pleine chaleur contre 29°C pour un toit végétalisé.
Les toits peuvent aussi être végétalisés. Un toit noir pourrait atteindre 89°C en pleine chaleur contre 29°C pour un toit végétalisé, expliquait Anne Sénéquier, médecin et co-directrice de l’Observatoire de la Santé à L’IRIS au micro de BFMTV, pour qui la ville est devenue « pathogène« .
Et si on repeignait les villes en blanc ?
Côté toits, les experts de la Global Cool Cities Alliance, une organisation dont l’objectif est de rafraîchir les milieux urbains, préconisent aussi la peinture. Recouvrir de blanc le dessus des immeubles pourrait aider à faire économiser jusqu’à 20% d’air conditionné dans les bâtiments concernés.
Cela vous semble loufoque ? Sachez qu’à Los Angeles, on a aussi tenté de peindre les rues en blanc. Cela aurait permis de réduire la température dans certaines rues de 5 à 7 degrés… moyennant un coût de 25 000 dollars par kilomètre, et une rénovation tous les 7 ans environ.
Aux États-Unis, ce système, certes onéreux, pourrait s’avérer d’autant plus indispensable que l’organisation des villes nord-américaines, généralement très organisées, avec des rues droites et perpendiculaires, est un véritable pièce à chaleur – à l’inverse, les centre-villes anciens et leurs rues sinueuses sont plus frais.
Les idées comme celles-ci ne manquent pas pour réconcilier ville et canicule. Certains aimeraient repenser la géométrie des rues, d’autres la forme des immeubles ou les construire avec des matériaux moins denses. Il y a la possibilité de créer des systèmes de ventilation d’air naturel dans les souterrains, comme les Carrières de Paris, ou celle des bassins intégrés dans le sol pour faire de la rétention d’eau. Il y a les transports, qui pourraient être moins énergivores avec l’électrique, et bien d’autres choses encore.
La solution idéale resterait évidemment de limiter le changement climatique à moins de 2 degrés, comme le prévoit l’Accord de Paris. Selon les scientifiques, il s’agirait finalement du meilleur moyen d’espacer ces crises. Et cette option a le mérite de profiter à tous, et pas seulement aux pays qui pourront se permettre de transformer leurs villes, à coups de dizaines de milliers de dollars par kilomètre de rue.